1. La conférence de presse
D'abord, Marcoussis, c'est loin, quand on vient depuis Paris. Et ça, on ne le sait pas tant qu'on n'y est pas allé. Maintenant, on le sait. Arrivée, la conférence de presse a déjà commencé, en présence de Benoît Potier, PDG du leader mondial des gaz industriels. Derrière lui, ça commence mal pour le chauvinisme : une carte d'Europe des stations de distribution d'hydrogène s'affiche, et la France est sévèrement à la traine, surtout comparée au voisin allemand.
S'ensuit une longe apologie de la technologie hydrogène (normal, vous direz-vous) où l'on apprend qu'Air Liquide le produit très facilement, et le transforme en énergie tout aussi facilement. On se rend compte également de l'avantage qu'il présente de par sa nature stockable. Car stocker de l'hydrogène, ça revient à stocker de l'électricité. Et ça, à part construire des barrages, on ne sait pas faire. Dans l'assistance un téléphone portable sonne très fort : c'est un peu la honte, mais ça fait toujours bien de faire croire à tout le monde qu'on est très occupé.
La discussion tourne un peu à la projection idéaliste. Si l'hydrogène, à produire, émet 30% de CO2 en moins qu'un carburant normal, Benoît Potier se laisse emporter par son enthousiasme, et s'imagine un avenir où tout l'hydrogène serait produit grâce aux énergies renouvelables, et où les émissions de CO2 seraient purement et simplement supprimées du circuit. Arrive l'argument-exemple qui tue : un centre de production au Canada produit déjà de l'hydrogène grâce à de l'hydroélectricité.
Oui mais voilà, aussi alléchante soit la technologie (un moteur de ce genre ne rejette rien d'autre que de l'eau), quelques obstacles se dressent sur sa route. Le premier d'entre eux est noir et gluant, et il s'appelle le pétrole. Ou plutôt le lobby pétrolier, qui agirait en coulisses pour retarder au maximum la mise au point de cette technologie, histoire de bénéficier pour un moment encore de son quasi-monopole automobile. Le deuxième obstacle de taille, c'est que si la technologie est au point (on le verra plus tard, parce qu'on a pu tester deux voitures à hydrogène), le réseau d'infrastructures, lui, ne l'est pas. Pour l'Allemagne par exemple, si le pays voulait s'équiper de 500 à 1000 stations de distribution d'hydrogène, cela représenterait un investissement d'un milliard d'euros, sans compter les unités de production.
Quant à équiper convenablement l'Europe entière, il faudrait cracher 200 milliards. Les pays ne veulent pas payer la facture parce que les industriels du gaz ne font pas le premier pas. Les industriels du gaz ne veulent pas payer la facture parce que les pays ne veulent pas les aider. Et les constructeurs automobiles ne veulent pas se lancer dans une production à grande échelle de ces voitures parce que les infrastructures sont inexistantes. Un bien beau statu quo. La situation pourrait quand même se décanter, puisqu'Air Liquide estime que si 10% de la flotte automobile était convertie à l'hydrogène, cela représenterait un marché de 100 milliards d'euros.
Des partenaires prestigieux
C'est pas tout ça, mais l'heure tourne. Tout le monde a posé son Blackberry le plus en évidence possible. Ca doit être ça, avoir la classe. Le représentant de Marcel a, lui, choisi une autre forme de classe : mettre le badge qui lui a été confié sur le revers de sa manche de chemise retroussée. Une pensée émue pour Georges Abitbol. La conférence se termine, un des responsables du circuit de Marcoussis donne des consignes de sécurité pour les essais qui se profilent, mais personne ne l'écoute, et on préfère se ruer à l'extérieur pour admirer les véhicules proposés.
2. Les essais
Honda, Hyunday, Opel, Mercedes… Les grands constructeurs sont là. Pas de trace de Renault. Peugeot a une voiture présente, mais on ne peut pas la conduire. On choisi d'essayer une Opel GM et une Honda Clarity. Sur le stand Opel, on parle la langue de Goethe. Cette fois plus de doute : les Allemands sont de retour. Chez Honda, c'est l'anglais qui est de mise. Mais peu importe, finalement. On embarque, en prenant soin de mettre un autocollant de Marcel dans la poche pour faire une photo "en situation". En voiture Simone.
Pour les deux véhicules, ce qui marque, c'est le silence. Sur la chaussée, quand on est piétons, il est quasiment impossible de détecter à l'oreille l'arrivée d'une des voitures, ce qui donne lieu à plusieurs interpellations par vitres interposées. A l'intérieur en revanche, le bruit des roues sur le goudron est agréable, discret mais présent. Le bruit du moteur, lui, est complètement différent de ce qu'on connaît déjà : futuriste, il s'apparente à un petit sifflement qui gagnerait en intensité au fur et à mesure de l'accélération. L'accélération, justement, est plutôt bonne, et on atteint le 100 km/h en à peu près 6 secondes. Les sensations sont les mêmes que sur une voiture thermique, et on est rassuré de ne pas conduire des véhicules qui se traînent. A la montée, on avait quand même remarqué que l'Opel faisait un léger bruit, intermittent, mix subtil entre la fuite de gaz et le lecteur de disquette qui rame. Plutôt drôle. Bref, deux tours de circuit à chaque fois, 6 kilomètres en tout, et c'est déjà fini.
Enfin, "fini", pas tant que ça, puisque nous voilà désormais devant une borne de recharge. Un photographe donne des consignes au démonstrateur comme s'il faisait une séance de photo de mode : "Tu prends le truc dans ta main, tu regardes à ta droite et tu fais comme si tu parlais avec quelqu'un". Il s'exécute de bonne grâce. Et les explications techniques arrivent. Un plein d'hydrogène, d'abord, représente 4 à 5 litres de gaz. Le tarif hors-taxe est d'environ 5€ le litre (qui permet de faire une centaine de kilomètres). Mais nul doute que si la technologie venait à se démocratiser, les pouvoirs publics viendraient taxer tout cela sévèrement. La TIPP, ça vous dit quelque chose ?
La ressemblance avec une pompe à essence est flagrante, et le temps de faire le plein est équivalent à celui qu'il vous faut pour faire un plein classique : entre 3 et 5 minutes. Et là, autant dire que les gens d'Air Liquide ne se sont pas privés d’insister sur la comparaison avec la voiture électrique, pour laquelle 6 à 8 heures de charge sont nécessaires pour parcourir 150 kilomètres. La pompe donne le choix entre de l'hydrogène compressé à 350 bars, ou à 700 bars (en fonction du modèle de véhicule). Vous faites votre choix grâce à une seconde borne tactile qui arbore fièrement le logo de Siemens. Et un très gros bouton d'arrêt d'urgence rouge, aussi. Le réservoir d'hydrogène embarqué est situé à l'arrière de la voiture et réduit le volume du coffre, mais on reste dans le domaine du raisonnable.
Les essais sont terminés. pour nous, en tout cas. On part prendre une petite collation, et on retrouve Benoit Potier qui répond à quelques questions. En vrac : la France ne doit pas laisser passer la technologie de piles à combustible, un objectif de 30% du parc automobile équipé de la technologie en 2050 est évoqué, un exercice de pédagogie sera à prévoir car rouler avec du gaz sous pression dans la voiture peut sembler dangereux. D'ailleurs, cette notion de danger n'a pas échapper à l'assistance : les blagues sur les explosions de voitures ont été de loin les plus entendues, sur le circuit de Marcoussis, en cette matinée d'octobre 2011…
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