1. Le Bhoutan et son histoire
A l'Est de l'Himalaya, le Bhoutan : un tout petit pays qui partage ses frontières exclusivement terrestres avec le Tibet et l'Inde. Quand on dit tout petit, c'est tout petit : au maximum 170 km du Nord au Sud et 300 km d'Est en Ouest, pour une superficie totale de 40 500 km2. Pour vous donner un ordre de grandeur très ethnocentrique, c'est environ 11 fois plus petit que la France métropolitaine. La population en 2011 est estimée à 708 427 personnes.
Le Bhoutan est un pays à part, selon bien des aspects. On ne sait rien de son histoire avant que le gourou indien Padmasambhava n'y introduise le bouddhisme au VIIe siècle. Malgré de nombreuses invasions tibétaines et mongoles au Moyen-Age, ainsi qu'un protectorat britannique arrivé d'Inde au XIXe siècle, le Bhoutan n'a jamais été colonisé.
Jusqu'en 2008, c'était une monarchie absolue. Depuis le couronnement du prince héritier Jigme Khesar Namgyel Wangchuck, qui du haut de ses 31 ans est l'actuel plus jeune roi du monde, une monarchie parlementaire a été instaurée, avec un premier ministre, une Assemblée nationale de 75 membres et un Conseil national de 25 membres. Le poste de chef de l'Etat reste héréditaire, mais le roi peut être destitué, si à l'issue d'un vote, deux tiers des parlementaires se prononcent contre lui.
Pour les records du monde, précisons qu'il s'agit du seul pays où le bouddhisme est la religion d' Etat, et qu'il est aussi le dernier à avoir été équipé de la télévision, en 1999. Il est également parmi les dernier en ce qui concerne l'équipement téléphonique et Internet. C'est dire si le Bhoutan a su se préserver du monde extérieur !
2. Le Bonheur National Brut
Mais ce qui distingue surtout le Bhoutan, c'est le BNB, qui à l'instar de nos PNB et IDH, mesure la prospérité du pays et de ses habitants. BNB, pour Bonheur National Brut.
Selon les propos de Lathu Wangchuk, membre du gouvernement bhoutanais, la philosophie du BNB réside "dans la croyance que le bonheur est le désir fondamental de tout être humain et que le développement compte bien plus de dimensions que la croissance économique. Ce concept fait appel à une approche multi-dimensionnelle du développement, visant à maximiser le bonheur et l’harmonie (…) Une bonne éthique environnementale est nécessaire afin de minimiser l’égoïsme et les intérêts personnels et de favoriser l’intérêt commun. Le respect de la nature est considéré comme le plus important."
Mis en vigueur en 1972 par le roi Jigme Singye Wangchuck, l'indice repose sur les valeurs spirituelles bouddhistes et sur quatre critères fondamentaux que sont un développement économique responsable, la conservation et la promotion de la culture bhoutanaise, la sauvegarde de l'environnement et la bonne gouvernance responsable. De quoi faire rêver les écologistes du monde entier… Le Bhoutan est 162e sur le classement des pays par PIB (sur 181 classés en 2010), mais si l'on se mettait à faire un classement selon les critères du BNB, il serait probablement parmi les premiers.
L'activité économique bhoutanaise, pour coller à l'impératif du BNB, se réduit au strict minimum, et elle est très contrôlée : agriculture, tourisme, exploitation forestière et électricité hydrodynamique sont les principales activités du pays. La technologie industrielle y est quasiment absente, et tout projet de développement économique et industriel ne peut être validé que s'il prend en compte la politique gouvernementale, la protection de l'environnement et le respect de la culture bhoutanaise.
Le Bhouthan contrôle également de façon drastique les investissements étrangers, et limite volontairement le tourisme, qui n'est autorisé que depuis 1974 : ainsi en 2005, on a estimé le nombre de visiteurs à 7000, voyages d'affaires compris. Comment limite-t-on le tourisme ? Facile : les visas délivrés aux touristes sont limités à un 15 jours, et renouvelables une seule fois moyennant paiement. On leur impose également une taxe de 200 dollars par jour… Il est fort probable, cependant, que le nombre de touristes ait augmenté depuis le changement de régime politique en 2008, mais nous ne disposons pas encore de données à ce sujet.
Et pour en revenir à notre mode de comparaison ethnocentrique, étudions par exemple les relations entre la France et le Bhoutan : pour commencer, la France n'a pas d'Ambassade au Bhoutan (les dossiers sont gérés par l'Ambassade de France en Inde). Au niveau du commerce international, le pays est le 200e client de la France, et son 202e fournisseur. Le total des importations de la France en provenance du Bhoutan est actuellement inférieur à 1 million d'euros.
Un seul aéroport et un réseau routier des plus inaccessibles ont pour effet direct de ralentir le rythme de vie – ce dont tout occidental rêve en secret -. Ainsi, on ne roule en moyenne qu'à 25 km/h, tant les routes sont étroites et difficiles à entretenir. Mais cet enclavement est avant tout dû au relief du pays : nous sommes quand même au bord de l'Himalaya, la chaîne de montagnes la plus haute du monde.
Tout ceci fait du Bhoutan un pays prospère, où il fait bon vivre et où l'être humain a un impact très faible sur son environnement. A nuancer cependant, car si le taux de chômage est de seulement 4 % (en hausse), 23,2% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté (en baisse).
4. Le Bhoutan, source d'inspiration à travers le monde
Le Bonheur National Brut a inspiré beaucoup d'économistes et d'écologistes. Le BNB a notamment donné lieu à 4 conférences internationales entre 2004 et 2008, au Bhoutan, au Canada et en Thaïlande. Depuis quelques années, on voit fleurir des kyrielles d'indicateurs économiques alternatifs au PIB, qui prennent en compte des données sociales et environnementales. Quand le Bhoutan fonde toute sa politique intérieure sur le niveau de son BNB, la plupart des pays occidentaux n'en sont encore qu'à tester la mise en place de nouveaux indicateurs, après avoir remis en cause les critères de la prospérité et du bonheur type PIB et IDH dans les années 1990. On pense ici notamment à l'IBIB (Indice de Bonheur Intérieur Brut), qui repose exactement sur le même principe que le BNB, tout récemment lancé par l'OCDE (lien), mais qui est encore en phase expérimentale. Vous pouvez lire à ce sujet notre dossier sur les indicateurs économiques alternatifs.
On retiendra aussi l'influence du Bhoutan sur l'entrepreneur écologiste Gunter Pauli, qui a voyagé aux quatre coins du monde et a conçu un nouveau modèle économique, la "Blue Economy", fondée sur le biomimétisme, soit l'imitation de la nature pour concevoir des "business models" qui ne gaspillent pas les ressources naturelles et ne polluent pas. Il est d’ailleurs à l’origine de nombreux projets développés au Bhoutan.
5. Le revers de médaille de l'utopie écologiste
Le Bhoutan a-t-il réalisé une utopie environnementale ? Réponse : oui, probablement. La pays est parvenu à se préserver des invasions coloniales, des invasions touristiques, des invasions d'investisseurs, des invasions culturelles et des invasions pollueuses. En se préservant du monde extérieur, il a réussi à préserver son environnement.
Un pays préservé, donc, mais aussi un pays fermé. Nous l'avons vu, la politique internationale du Bhoutan est réduite au minimum vital. Pour l'immigration, elle est quasi inexistante. Si le Bhoutan est un pays où il fait bon vivre, il fait surtout bon y vivre si l'on est un Bhoutanais ou un riche touriste. N'ayez donc pas trop l'espoir d'y passer vos vieux jours.
Le côté obscur de ce penchant protectionniste, c'est que le Bhoutan, selon le principe "un peuple, une nation", a expulsé il y a une vingtaine d'années quelque 100 000 immigrés népalais dont certains vivaient là depuis des générations, et a sévèrement réprimé les tentatives de résistance (100 morts). La population totale du Bhoutan est estimée à 2 millions de personnes, mais le gouvernement ne reconnaît que les 708 000 bhoutanais de souche, et les népalais se voient refuser certains emplois. Si une partie des expulsés a reçu l'asile politique à l'étranger, en 2007, environ 30 000 vivaient encore dans des camps de réfugiés à la frontière, oubliés de la communauté internationale.
La question posée par la situation au Bhoutan est donc cruciale : peut-on préserver son environnement et sa culture tout en restant ouvert sur le monde ? Peut-on être ouvert sur le monde sans être envahi par la consommation de masse, la pollution et les conflits internationaux ? En un mot, est-il possible de vivre avec le reste du monde sans qu'il ne vous avale ?
Photos : Flickr – Jean-Marie Hullot, Thomas Wanhoff
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