Depuis 1999, le bio a progressé de 10% par an en moyenne tandis que le commerce équitable a doublé son chiffre d’affaires entre 2004 et 2007. Mais malgré ces belles progressions, l’éthique reste anecdotique en France. Le café, porte-drapeau du commerce équitable, ne représente par exemple que 7% des cafés vendus en France. 1% pour les tablettes de chocolat.
Pour avoir un réel impact sur le respect des hommes et de l’environnement, le Bio et l’équitable se doivent de séduire le « grand public », mais de telles échelles de consommation sont-elles compatibles avec les valeurs du commerce éthiques ?
A en croire le développement des marques pionnières du commerce éthique en France, c’est possible. A condition d’être patient. La marque de chaussure Veja par exemple, a réussi le pari de devenir une marque de basket grand public en restant fidèle à ses valeurs. Mais cela s’est fait au prix d’un développement qui choquerait plus d’un directeur marketing conventionnel. Car, à l’inverse de la plupart des entreprises qui cherchent en permanence à produire tout ce que la demande peut absorber, chez Veja, on se contente de produire ce qu’on peut… et tant pis si ce n’est pas suffisant pour satisfaire tous les amateurs de la marque. Cette philosophie a permis à Veja de ne jamais trahir les engagements qu’elle prend auprès des consommateurs et de ses fournisseurs. Car augmenter le volume de production coûte que coûte, c’est bien souvent renoncer à certaines exigences de qualité ou d’éthique. On ne crée pas du jour au lendemain une nouvelle filière de production équitable de caoutchouc bio… Cela prend du temps. Et tant pis pour les modeux pressés.
Voilà qui doit « nuire à la compétitivité » de Veja me direz-vous ? Même pas ! Chez Veja, ce temps de développement et de fabrication des nouveaux modèles n’a jamais vraiment été un problème. Il a au contraire servi l’une des composantes essentielles du succès de sa basket : la rareté. Et dans un secteur comme la mode, c'est une qualité qui n’a pas de prix. Cette « insatiété entretenue » du consommateur et l’événement que constitue ainsi chaque nouveau lancement a même permis à Véja de se passer de communication et d’absorber ainsi le prix supérieur de ses matières premières…
Dans l’alimentaire, d’autres parviennent à s’accommoder des échelles particulières du commerce éthique. Alter Eco, par exemple est un des plus gros vendeurs de produits issus du commerce équitable en grande distribution. La marque est pourtant parvenue à se maintenir à la pointe des engagements éthiques. Elle est encore aujourd’hui parmi les plus ardents défenseurs des coopératives de petits producteurs face à l’émergence de grosses exploitations équitables dans les pays du sud. Mais là encore, le développement de la gamme se fait pas à pas. On ne lance pas une référence de chocolat blanc au gout coco le jour ou des études nous confirme qu’il y a une demande mais le jour ou on a rencontré la coopérative de production de noix de coco qui partage nos valeurs… Encore de quoi faire avaler son Bretzel de travers à notre directeur marketing de la vieille école…
Mais ce qui marche avec les « pure player » de l’éthique est-il envisageable pour les entreprises conventionnelles désireuses de se « convertir » ? Comment concilier les engagements du commerce éthique avec les échelles de production d’un géant de la mode ou de l’alimentation ?
A en croire les mésaventures rencontrées par certaines grandes marques, la démarche est loin d’être évidente.
Le récent lancement par H&M de sa collection Garden utilisant coton et lin Bio ainsi que des matières recyclées a par exemple été entaché par la publication au même moment par un journal allemand des résultats d’une étude montrant que la marque suédoise avait étiqueté Bio du coton Indien contenant des OGM. Simple erreur ou manipulation ? Difficile de trancher, mais on peut facilement imaginer que le contrôle est d’autant plus difficile que la quantité concernée est grande.
Autre raté d’un géant : l’annonce par Nestlé de la conversion de sa marque KitKat au chocolat issu du commerce équitable. Belle initiative, mais totalement éclipsée par la révélation par Greenpeace qu’en dépit de ses nombreuses mises en garde, Nestlé continue de se fournir en huile de palme chez le plus gros producteur indonésien, également leader en matière de destruction de la forêt primaire et des Orang Outan qui la peuplent. Ici pas de doute, en faisant cohabiter des pratiques aussi antinomiques, Nestlé a montré son incompréhension des enjeux du commerce éthique.
Et a chaque fois, le problème est le même : la disponibilité des ressources labellisées.
L’agriculture Bio en France ne représente que 2% des terres cultivées. Difficile d’imaginer que cette surface puisse suffire à fabriquer tous les produits consommés chaque année par les français et issus de manière directe (fruits et légumes, viande, etc) ou indirecte (mode, cosmétique, etc) de l’agriculture. Les grandes marques sont donc forcées d’aller chercher leurs matières premières au delà de nos frontières, au mieux en Europe, au pire à l’autre bout du monde, et là l’intérêt du Bio est sérieusement remis en cause. Car un produit qui a traversé la planète pour arriver dans notre assiette n’a plus grand chose d’écologique, pesticides ou pas.
Le problème se pose différemment pour le commerce équitable, puisque par essence, les produits issus de ce commerce sont fabriqués dans les pays du sud. Loin, donc. Mais là aussi, l’arrivée des grandes marques augmente la pression sur les filières de production et sur les institutions du secteur comme Max Havelaar, label autoproclamé qui garantit les pratiques de la grande majorité des produits issus du commerce équitable. L’organisation est de plus en plus observée par les purs et durs de l’équitable qui craignent que son projet de confier les produits labellisés à la grande distribution n’encourage la disparition des coopératives familiales au profit de grandes exploitations quasi-industrielles…
Ces exemples montrent toute la difficulté de l’émergence d’un commerce éthique à grande échelle… Ils mettent aussi l’accent sur le lien irrémédiable qui existe entre la façon de produire un bien et la façon de le vendre ou de le consommer: La lente propagation des modes de production raisonnés ne pourra pas se passer de l’émergence d’un marketing et d’une consommation raisonnable…
+ d'info: Veja, Alter Eco, H&M Garden collection, Campagne Greenpeace contre KitKat, Max Havelaar
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