Introduction
Marcel a répondu à l’invitation de Veja, pour rencontrer Beatriz Saldanha. Cette brésilienne est militante environnementale, styliste de mode et une des fondatrices du parti vert au Brésil. Depuis 2006 elle est ambassadrice de Veja au Brésil pour faciliter et aider aux relations avec les récoltants de caoutchouc sauvage.
Voici le récit de cette rencontre / interview, portrait d’une femme engagée, qui arrive à concilier son amour de la mode et son engagement militant.
Beatriz fut membre fondateur du parti vert au Brésil, aux côtés de Chico Mendès. Elle continua ensuite ses actions militantes tout en devenant styliste et créatrice de mode. Elle a développé par la suite une matière parfaitement adaptée à ses créations de mode : une toile de coton recouverte de caoutchouc liquide, fumée puis séchée.
C’est grâce au savoir faire local des seringueros que Beatriz a pu développer ces produits. Cette matière complètement imperméable répondait à des vrais besoins pour les gens en forêt.
Elle travaille depuis 2006 aux côtés de Veja, marque française de mode éthique.
Petit glossaire pour mieux appréhender cette interview :
Seringuero : Au Brésil, le seringueiro est un ouvrier chargé de la collecte du latex. Il tire son nom de la plante dont est extrait ce produit, l’hévéa, ou seringueira en portugais.
Chico Mendes : Francisco Mendès Alves Filho dit Chico Mendes (né le 15 décembre 1944 à Xapurí au Brésil, assassiné le 22 décembre 1988 dans cette même ville) était le leader militant syndicaliste brésilien le plus connu parmi ceux qui ont défendu les droits des seringueiros. Après de nombreux combats syndicaux et personnels pour la défense de la forêt amazonienne et de ceux qui en vivent, il fut assassiné pour ses idéaux sur ordre d’un riche propriétaire terrien.
Hévéa : L’hévéa (Hevea brasiliensis) est une espèce d’arbres dont on extrait un latex qui est utilisé pour être transformé en caoutchouc.
1. La mode comme outil de changement de la société
MarcelGreen.com : Bonjour Beatriz Saldanha. Styliste, chef d’entreprise, militante
écologiste, ambassadrice de la cause amazonienne … comment vous
définissez-vous ? De quoi êtes vous faites ?
Beatriz Saldanha : Je préfère me définir comme une styliste militante. J’étais avant tout styliste, et les choses de la vie m’ont en quelque sorte « réquisitionnée » pour devenir militante. La mode est mon outil, mon arme pour faire passer mes messages.
On peut se servir de la mode comme outil de changement de la société et comme outil de changement dans les entreprises. Les entreprises se doivent de proposer aux consommateurs des choses différentes, équitables, comme le coton organique, le caoutchouc sauvage par exemple. Ce genre de choix est je crois, de la responsabilité des entreprises.
2. L’Amazonie, symbole de la nature et de tragédie écologique.
MG : Cette forêt amazonienne n’est pas une forêt comme les autres. C’est un
véritable symbole mondiale : de la beauté de la nature mais aussi des
désastres causés par les hommes. Pouvez vous nous dresser un état de la
forêt, selon vous, qui vivez là-bas ?
BS : Selon moi, c’est en effet un symbole de la nature immense, magnifique, géante etc. Mais je crois surtout que les plus belles choses que nous avons en Amazonie ce sont les personnes. La culture de ce peuple, qui est là pour la nature, par la nature … à cause de la nature.
C’est une vraie symbiose vous savez. L’idée que l’Amazonie n’est qu’une forêt est dangereuse car s’il n’y à personne là-bas, qu’allons-nous faire ?
Heureusement qu’il y a des écologistes qui veulent maintenir la forêt intacte, comme un jardin d’Eden, comme une chose intouchable. Et d’un autre côté, il y a les entreprises de l’agro-business qui veulent tout simplement couper la forêt. Ce n’est pas un bon développement de couper la forêt pour y mettre des vaches, du soja etc. C’est donc très important qu’il y ait une valorisation de la culture et du peuple d’Amazonie. Le peuple est lié à la nature.
La biodiversité n’est pas que « bio », c’est forcément ethnique aussi. En portugais nous avons un mot qui est « ethno-biodiviersité » et c’est plus complet selon moi que la simple biodiversité. Nous avons différents peuples, différentes langues la bas ; l’état dans lequel j’habite à la frontière du Pérou et de la Bolivie regroupe 22 peuples différents, c’est une grande diversité.
3. "Valoriser les services que les seringueros rendent à la société"
MG : La cause des seringueros fut pendant quelques temps soutenue et reprise dans les médias internationaux, qu’en est-il aujourd’hui ? Ces travailleurs ont-ils retrouvé la vie qu’ils méritent ?
BS : L’économie du caoutchouc en Amazonie est décroissante ces temps-ci, et les seringueros veulent de moins en moins faire ce métier. Pour eux là-bas, le métier de seringuero est lié à la pauvreté et à la souffrance. C’était une époque très difficile pour nos grands-pères et nos grands-mères vous savez.
Désormais il y a des projets comme ceux que j’ai développé, comme Veja aussi et quelques autres, qui sont là pour valoriser la façon de travailler. Ils aident aussi à développer de nouvelles technologies, de nouveaux savoir-faire pour travailler le caoutchouc d’une autre façon. Il faut savoir que notre caoutchouc n’est plus compétitif par rapport à celui de Malaisie ou même de Sao Paulo.
Mais il y a une grande différence car nos arbres poussent à l’état sauvage, là où ils veulent. Donc un seringuero doit marcher plusieurs kilomètres pour trouver un arbre, le strier, récolter le latex etc. Tout ça se passe en pleine jungle. A l’inverse les autres méthodes de culture sont des champs d’hévéa, en monoculture, quadrillés.
Il nous faut 300 hectares de forêt pour avoir 1 tonne de caoutchouc par an.
Dans les plantations, ils obtiennent ces mêmes quantités en 1 mois.
Nous devons donc valoriser les services que les seringueros rendent à la société, comme celui d’être la pour respecter et faire vivre la forêt chaque jour.
Vous savez, le caoutchouc est un produit côté en bourse, dont la valeur fluctue, mais les prix ne sont pas différents entre le caoutchouc sauvage et celui des plantations. Le problème est que c’est en fait le même caoutchouc, c’est la méthode de production, et donc son impact sur la forêt qui diffère.
Photo : Maisons de seringueros.
4. Proximité, ambiance, simplicité.
MG : Être un lien entre les seringueros et les acheteurs, c’est bien de la qu’est né votre partenariat avec Veja ?
BS : Les seringueros sont organisés en association depuis les années 80. Chico Mendes a été le leader de ces coopératives, et ils se battaient pour plein de choses : Premièrement, le droit de la terre. Ensuite, pour la recherche d’un marché différencié pour leur caoutchouc.
Et moi j’arrive avec une mission, qui est de faire la liaison entre ces coopératives et des entreprises comme Veja. L’objectif de tout ceci est de créer de nouvelles alternatives pour le caoutchouc. Veja travaillait déjà avec des coopératives depuis le début, mais ils m’ont contacté en 2006 pour travailler avec eux, afin de faciliter les relations avec ces associations et d’avoir toujours plus de transparence sur les relations avec les seringueros.
Avec Veja nous avons développé une nouvelle technologie qui s’appelle FDL, c’est une abréviation en portugais qui signifie « Feuille enfumée liquide » ; cette matière est parfaite pour être utilisée sur des valises, des sacs etc. Un des nombreux avantages de cette matière est qu’elle permet aux seringueros de vendre directement leur caoutchouc aux entreprises. Il y a normalement un traitement à effectuer sur le caoutchouc dans une usine intermédiaire, ce qui n’est plus le cas pour nous.
Nous travaillons avec 40 familles là-bas, pour satisfaire la quantité que Veja achète, mais vous savez, ça reste petit. Maintenant je travaille aussi pour le gouvernement pour développer tout ça et trouver des nouveaux marchés pour le caoutchouc là-bas. WWF et GTZ sont nos partenaires pour avancer et pour trouver des nouveaux clients et des nouveaux marchés.
5. "Et pourquoi JE ne pourrais pas faire ma part du changement ?"
MG : Etats, entreprises, citoyens… à qui faites-vous le plus confiance pour mener la “révolution durable” dont la planète a besoin ?
BS : Ce sont les 3. Chaque personne a une grande responsabilité. Même si c’est difficile à accepter, car c’est plus facile de dire « pourquoi le gouvernement ne fait rien pour changer les choses, pourquoi les entreprises ne font rien pour changer les chose » etc. Mais pourquoi JE ne pourrais pas faire ma part du changement.
C’est très important de reconnaître la responsabilité de chacun. Bien sûr que l’Etat a une responsabilité plus grande, mais il ne doit pas être seul. Au Brésil en ce moment, nous sommes en plein processus d’élection. Lula est à la fin de son second mandat, il doit donc laisser la place, et il a une candidate du parti travailleur qui se présente. C’est un moment très important, le moment de choisir qui nous voulons pour nous diriger !
Nous avons une loi très importante sur l’environnement au Brésil. Et les députés alliés à l’Agro business veulent changer cette loi. L’état doit donc faire attention à tout ceci, d’où leur grande responsabilité face à la nature.
Et la responsabilité incombe aussi bien sûr aux entreprises, qui ont selon moi la responsabilité en mettant un produit, sur le marché, depuis le berceau jusqu’au tombeau.
6."Chez vous, il y a du bio plein les supermarchés !"
MG : Vos multiples activités vous ont mené dans de nombreux pays à travers le monde. Quel regard portez-vous sur la France et sur la sensibilité écologique des Français ?
BS : Il y a une chose très importante chez vous, c’est cette commission qui réfléchit à une réévaluation du calcul du PIB. Cette commission qui prend en compte de nouveaux indices pour calculer la richesse d’un pays apporte énormément.
J’étais à Copenhague pour Cop15 vous savez. Et qu’allons-nous faire pour réduire toutes ces émissions ? Et bien cela doit être une obligation pour les pays. Ils ont opté pour quelque chose de volontaire de la part des pays, mais ça ne peut pas fonctionner comme ça. Pourquoi la Chine, l’Inde ou les Etats-Unis changeraient-ils leur mode de fonctionnement, alors que ça va leur coûter beaucoup d’argent ? Ils ne feront rien, sauf si on calcule la richesse différemment et qu’on prend en compte la question environnementale.
L’autre chose remarquable chez vous, c’est l’avancée en terme d’agriculture biologique. Quand je vais dans les supermarchés chez vous, je suis surprise de voir autant de produits bios partout ! Même si je considère la consommation de produits bios comme quelque chose de « basique », vous avez une avance importante ici, alors qu’au Brésil ce n’est pas autant développé.
L’agro business a une influence gigantesque au Brésil, et il va nous falloir du temps pour aller dans ce sens…
7. "C’est au moment de l’achat que l’on doit décider … et changer le monde ! "
MG : En tant que consommatrice responsable, avez-vous des produits ou marques éthiques préférés ?
BS : Bien sûr je préfère les produits bio. Dans la mode ce n’est pas facile, je suis toujours à la recherche de coton bio, de mode éthique etc. mais ce n’est pas évident.
Mais de toute façon en tant que consommatrice, il y a des marques que je n’achèterai jamais. Certaines marques liées au travail des enfants etc. , non, je ne peux pas acheter ça.
Mais il y a de plus en plus d’options désormais, on peut trouver.
D’un point de vue consommation pure, j’essaie de me poser le plus possible la question « as-tu vraiment besoin de ça ? » même si c’est difficile. Vous savez je suis une femme comme les autres, qui aime la mode, les chaussures etc. C’est pour ça qu’on revient à la question de la responsabilité du consommateur, et cette responsabilité c’est chacun qui la porte. C’est donc au moment de l’achat que l’on doit décider … et changer le monde !
8. Bonus Track : Vidéo de la récolte de caoutchouc
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