Introduction
14 ans en arrière : l’année 1997. Jacques Chirac dissout l’Assemblée Nationale, Jean-Paul II vient en France pour les JMJ, Lady Diana est tuée dans un accident de voiture sous le pont de l’Alma à Paris, la Roue de la fortune et le Club Dorothée s’arrêtent sur TF1. Et dans nos assiettes ? Et bien dans nos assiettes, un petit changement va avoir lieu. Imperceptible d’abord, il prendra de plus en plus d’importance avec les années qui passent.
Unilever, mastodonte mondial de l’agroalimentaire, s’associe au WWF, et tous deux lancent le Marine Stewardship Council, ou MSC, un label garantissant que les poissons que vous consommez ne sont pas en voie de disparition et que leur pêche n’a pas contribué à l’épuisement des stocks halieutiques (l’adjectif un peu scientifique qui nous évite de dire "stocks de poissons"). Après les premiers pas du MSC, celui-ci est aujourd’hui indépendant et s’est affranchi de la tutelle d’Unilever et du WWF. Son fonctionnement est garanti par des dons, et pour preuve de l’importance qu’il prend année après année, un dixième des captures de poissons mondiales en 2012 devraient l’être sous le label MSC. Seulement voilà, tout vertueux qu’il semble être, le label rencontre quelques détracteurs.
Daniel Pauly et quelques collègues scientifiques ont publié dans la revue britannique Nature en septembre 2010 un papier jetant un doute sur le fonctionnement du MSC. Un article qui a trouvé un écho certain dans la sphère environnementale, et mis au jour en France à travers l’article "Queue de poisson pour le label de la pêche durable" sur le blog d’Audrey Garric sur lemonde.fr. Avec cette mini-polémique (à laquelle le MSC a d’ailleurs répondu sur son site) et l’information récente de l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture selon laquelle la consommation de poisson a atteint des records en 2010, il semblait opportun d’avoir quelques compléments de réponse.
Interloqués que nous sommes par le fonctionnement d’un label de qualité aussi célèbre, nous avons décroché notre téléphone et posé quelques questions à Edouard Le Bart, responsable du MSC en France : quels sont les critères pour être certifiés ? Quels sont les contrôles effectués ? Qu’est-ce que cela change vraiment d’acheter du poisson labellisé ? Les réponses à toutes ces questions et dans les pages suivantes…
1. Le label et le processus de certification
Comment s’assurer que la pêche de certaines espèces peut être qualifiée de "durable" ? Est-ce que des inspecteurs portant un gilet orange fluo floqué "MSC" se balade à travers le monde pour des contrôles surprise, comme peuvent le faire les inspecteurs de la DGCCRF dans les lieux de restauration ? La réponse est non.
MSC, après sollicitation d’une société de pêche, fait appel à des organismes de certification indépendants (si ça vous intéresse, il s’agit entre autres de Moody Marine, ou de MacAlister Elliott) spécialisés pour les audits, et selon Edouard Le Bart, "cela fonctionne de la même façon que le bio. MSC fixe ses critères et ses standards, mais ne s’occupe pas des audits". Mais quels sont ces critères, justement ? Il faut d’abord savoir que la démarche est contraignante à un point tel qu’entre la demande et la certification, il s’écoule en moyenne 18 mois pour correspondre à une trentaine de critères réunis autour de trois grands principes :
- la société de pêche doit prouver qu’elle opère sur un stock biologique sain (qui assure son renouvellement tous les ans, ou qui est en cours de restructuration)
- l’impact de la pêche sur l’environnement doit être réduit (réduire les captures accidentelles, limiter l’impact sur les fonds marins et l’écosystème en général)
- le système de gestion mis en place : les périodes de pêche de l’entreprise et les quotas de capture sont-ils respectés ?
Une fois toutes ces conditions réunies, on peut armer des bateaux, partir au large, jeter lignes et filets à la mer, et ramener le gros lot en toute tranquillité.
Les pêcheurs qui opèrent dans le même coin d’océan ? S’ils n’ont pas faits la démarche expliquée précédemment, ils n’auront pas le droit de se réclamer "labellisés MSC" et d’afficher le logo, quand bien même le stock de poissons sur lequel ils travaillent est considéré comme "sain". Ils ne leur restent plus qu’à prendre contact avec le label.
2. Et demain ?
Le MSC semble promis à un bel avenir. Pas de concurrents crédibles, et une image de marque déjà implantée chez le consommateur. Cependant, plus que l’avenir du MSC, c’est celui de la vie dans nos océans qui nous inquiètent. Ces deux-là étant intimement liés, essayons de nous projeter..
Pour le futur, le MSC n’a pas arrêté d’objectif fixe, mais espère simplement continuer de certifier les pêcheries qui le méritent. L’idéal étant bien sûr que l’ensemble de la pêche mondiale devienne "durable", ne concerne que des espèces présentes dans nos océans en nombre suffisant, et que le job d’Edouard Le Bart devienne inutile. D’ici là, lui et ses collègues ont encore beaucoup de travail…
Et puis selon notre homme, la première des motivations d’une pêcherie à être certifiée serait éthique : "malgré tout ce qui est dit sur la pêche aujourd’hui, avec des problèmes de surpêche notamment, on a à côté de cela des pêcheries qui font très bien leur boulot et qui souhaitent le montrer". Certes. Quant à la seconde, elle vient évidemment de la demande grandissante des consommateurs pour les produits durables. Parce que oui, les labels répondent aussi aux lois du marché et afficher le logo MSC peut donner un avantage concurrentiel. Et comme notre petit doigt nous dit que ce n’est pas demain la veille que le commerce mondial s’effondrera, le MSC a de beaux jours devant lui.
Finalement, après un tel dossier, vous vous dites peut-être que le label MSC a déjà envahi nos rayons, ou que s’il ne l’a pas encore fait, cela ne saurait tarder. Eh bien non. Sans toutefois avancer de chiffres précis, notre interlocuteur nous parle d’une "part assez faible de poisson labellisé MSC vendue en magasins”, qu’il estime à environ 5%, “quand le label représente 7% des captures à l’échelle mondiale". Et si nous refaisions un dossier similaire dans 10 ans, la part serait-elle toujours aussi faible ? Seul l’avenir nous le dira, mais on aime à penser que non…
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